samedi 6 février 2016

La nouvelle dialectique « humanitaire » en Syrie

Alep et les villages environnants se vident des milliers de combattants -et leurs familles- notamment du groupe terroriste Al-Nosra (la branche syrienne d’al-Qaida) devant l’avancée de l’armée régulière syrienne. Ces fuyards, qui ont semé la terreur et la mort durant 3 ans à Alep, vont maintenant en partie grossir les rangs des camps de réfugiés en Turquie. Les Etats qui – comme la Turquie, l’Arabie saoudite et la France – ont soutenu ces groupes terroristes « modérés » n’apprécient pas de voir l’armée gouvernementale reprendre le dessus. Ils sont maintenant plus que jamais à la manœuvre, comme l’expose l’analyse de Guillaume Borel ci-dessous. [Silvia Cattori]

Suite à l’avancée majeure de l’armée régulière syrienne dans la région d’Alep, les alliés régionaux de l’État Islamique et du Front Al-Nosra, la Turquie et l’Arabie Saoudite, montrent à nouveaux des velléités d’intervention directe sur le terrain syrien.
Soutenue par l’aviation russe, l’armée syrienne est en mesure de reprendre la ville d’Alep, fief des djihadistes du Front al-Nosra, et de libérer le gouvernorat régional. La principale route d’approvisionnement des djihadistes en provenance de Turquie a notamment été reprise par l’armée, qui a libéré plusieurs villages et localités de la province. Les quartiers rebelles sont sur le point d’être totalement encerclés. Selon le responsable de l’OSDH, Rami Abdel Rahmane :
« Les pro régime encerclent les quartiers rebelles à Alep des côtés sud, est et nord, à l’exception d’une seule ouverture dans le Nord-Ouest qui permet aux insurgés d’accéder à la province voisine d’Idlib. »
Ce n’est donc probablement qu’une question de jours avant que les positions des djihadistes soient totalement bouclées. L’armée pourra alors lancer une vaste offensive afin de libérer l’intégralité de la ville. Toujours selon l’OSDH, le bouclage d’Alep pourrait « marquer le début de la fin pour eux, [les djihadistes] à moins qu’ils ne reçoivent une aide urgente des pays du Golfe et de la Turquie. »
Dans ce contexte militaire extrêmement préoccupant pour les alliés de la Turquie, Ankara semble montrer des velléités d’appuyer plus directement le Front al-Nosra. Les militaires turcs ont ainsi interdit un vol d’inspection russe au-dessus de leur territoire, qui devait s’effectuer dans le cadre du traité « ciel ouvert » qui autorise ce type de vols d’inspection afin de renforcer la transparence et l’ouverture militaire entre les principaux membres de l’OTAN et la Russie.
Le vol en question devait effectuer une reconnaissance entre le 1er et le 5 février sur la région frontalière avec la Syrie, et reconnaître notamment la base aérienne d’Incirlik utilisée par l’OTAN.
Le commandement militaire russe a logiquement interprété cette interdiction comme une volonté de dissimuler la préparation d’une offensive militaire sur le terrain syrien.
Selon le porte-parole du ministère russe de la Défense, l’armée russe «enregistre un nombre croissant de signes d’une préparation secrète des forces armées turques afin de mener des opérations sur le territoire syrien», et d’ajouter : « «Si quelqu’un à Ankara pense que l’interdiction d’un vol de reconnaissance russe permettra de cacher quoi que ce soit, il n’est pas professionnel ».
La coordination entre la Turquie et l’Arabie Saoudite semble également avoir franchi un cap devant l’urgence de la situation militaire. Les deux pays poussent notamment à la création d’une force militaire islamique de « maintien de la paix » sur le territoire syrien. Cette proposition a été formulée en janvier par un député du parti du président Erdogan, l’AKP, lors d’une réunion du conseil de l’Organisation de la Coopération Islamique basée en Arabie Saoudite. L’envoi d’une telle force sur le terrain pourrait en effet mettre un terme à l’avancée de l’armée régulière syrienne et geler le conflit sur ses positions actuelles.
Selon Erdogan Toprak, député turc du parti d’opposition d’extrême gauche Parti démocratique du peuple, la visite récente du premier ministre Ahmet Davutoglu à Riyad en compagnie du chef de l’état-major turc, est le signe de la volonté d’Ankara d’une intervention armée conjointe sur le théâtre syrien. La question actuellement débattue à Ankara serait donc « de savoir si la Turquie — qui a déployé des efforts énergiques conjointement avec l’Arabie saoudite en vue de tenir les Kurdes syriens à l’écart des négociations de Genève — lancera une opération en Syrie pour empêcher les troupes d’Assad soutenues par l’aviation russe d’établir un contrôle sur les territoires turkmènes. »
Dans cette optique, le bloc américano-occidental et ses alliés régionaux ont rompu les pourparlers de paix de Genève qui s’étaient ouverts lundi, en prétextant l’offensive militaire actuelle du régime syrien et en conditionnant la réouverture des négociations à la mise en place d’un processus humanitaire, validant ainsi le plan turco-saoudien d’une force d’interposition de « maintien de la paix » dans le but d’offrir une porte de sortie aux groupes djihadistes encerclés par l’armée régulière et de reconstituer probablement des « zones refuge » près de la frontière turque.
Le secrétaire d’état américain John Kerry a ainsi dénoncé : « La poursuite de l’assaut des forces du régime syrien – renforcées par les frappes russes – contre des zones tenues par l’opposition » qui traduirait selon lui « le désir de chercher une solution militaire plutôt que de permettre une solution politique ».
Le ministre français des affaires étrangères Laurent Fabius, qui a mis en oeuvre depuis sa prise de fonction un soutien logistique et opérationnel aux groupes djihadistes et au Front al-Nosra, a également jugé que les circonstances militaires « privaient de sens » les discussions de Genève « auxquelles ni le régime de Bachar al-Assad ni ses soutiens ne souhaitent visiblement contribuer de bonne foi, torpillant ainsi les efforts de paix ».
Le 4 février, l’Arabie Saoudite se positionnait officiellement pour un engagement armé direct dans le conflit contre l’État Islamique sous-direction américaine, par la voix du porte-parole du ministre de la défense.
La stratégie de guerre par procuration menée par la coalition occidentale et les Etats du Golfe dans le but de renverser Bachar-al-Assad au profit d’un protectorat islamique étant sur le point d’échouer du fait de l’entrée en guerre de la Russie, c’est maintenant au nom de l’urgence « humanitaire » que les sponsors occidentaux et régionaux des groupes djihadistes ayant semé le chaos et la mort en Syrie tentent de sauver leurs mercenaires. Le soudain intérêt porté à la situation humanitaire des syriens masque ainsi une tentative désespérée de geler le conflit afin d’offrir une porte de sortie aux rebelles armés et soutenus par la coalition. Nul doute que la thématique « humanitaire » n’en est qu’à ses premiers développements et que le système médiatique va s’en emparer de manière massive afin de conditionner les opinions à la nouvelle dialectique du conflit syrien.
Une première offensive préparatoire a ainsi eu lieu début janvier autour de la situation de la ville de Madaya, qui a notamment donné lieu à différentes supercheries et montages photographiques qui ont servi à alimenter une campagne de communication virale sur les réseaux sociaux mettant en scène une population civile en état de sous-nutrition avancée. Certains clichés mensongers véhiculés par les médias, notamment des pays du Golfe, n’étaient pas sans rappeler les images des détenus des camps de concentration…

Par Guillaume Borel le 05 février 2016
Guillaume Borel est l’auteur de l’essai Le travail, histoire d’une idéologie. Éditions Utopia: 2015. Il s’intéresse aux questions de macro-économie, à la géopolitique et aux questions de propagande et d’intoxications médiatiques.
Crédit photo AP

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